C'EST TRISTE ! « Tiens ! mon chef, me lance-t-elle, je suis si contente de te voir.» C'était il y a une quinzaine de jours, dans la cour de l'hôpital où elle était soignée depuis plusieurs semaines. Théo, son fils adoré, avait sorti Laurence de sa chambre. Il faisait chaud, très chaud. L'été avant l'heure. Sous son chapeau de paille, elle avait gardé cette élégance naturelle qui l'enveloppait, ses yeux pétillaient comme avant la maladie, son éternel sourire cachait peut-être quelques mélancolies enfouies...
Depuis que nous avions travaillé ensemble, Lolo, comme l'avaient affectueusement baptisée ses vieux amis, avait l'habitude de m'appeler "chef". Car après s'être beaucoup chamaillés, nous étions devenus, je crois, des amis. Et des amis de Bruno, son mari. Il y a huit mois, ils étaient venus dîner à la maison le soir même où la médecine avait mis un nom sur les affreuses douleurs qui lui pourrissaient la vie depuis des semaines. Cancer ! Ce mot terrible, qui vous fait chavirer dans un autre monde... Laurence en avait parlé comme d'un combat qu'elle allait gagner, comme d'un passage qui mène à une renaissance. La maladie aura été plus forte. Nous sommes, ici, si tristes, si affligés.
À l'annonce de ta mort, toutes les images des bonheurs partagés nous sont revenues, Lolo. Ton mariage, si joyeux, avec Bruno, à Lignières. Ces réveillons aux chandelles et en musique, dans le merveilleux salon de l'hôtel de Panette, auquel vous aviez redonné sa splendeur. Ces rendez-vous de juillet, dans le parc, pour fêter tes éternels vingt ans. Ces fous rires, à l'évocation des années en commun au journal. Ces dîners, ici, autour de cette table sur laquelle je tape, « l'eau au bord des cils », ces mots d'adieu...